Cycle to Stop the Harm, une campagne qui vise à lutter contre les dommages. Un voyage à travers le Canada en faveur d’une politique sur les drogues progressiste.

Par Iliajah Pidskalny

Le 1er janvier 2021, j’ai embarqué sur mon vélo et roulé de Saskatoon à Vancouver pour réaliser un projet de sensibilisation à la crise de l’empoisonnement aux opioïdes, à la réforme des politiques en matière de drogues et à la santé mentale, un projet appelé « Cycle To Stop The Harm ». J’ai également recueilli des fonds pour les organisations « Moms Stop The Harm » et la Coalition canadienne des politiques sur les drogues, deux groupes extraordinaires qui travaillent à la réforme des politiques sur les drogues, à la sensibilisation et à l’éducation. Déterminé, je me suis lancé avec un objectif de collecte de fonds de 20 000 $ et avec un vélo rempli de tout ce dont j’avais besoin pour survivre en faisant du camping d’hiver et du vélo à partir des prairies canadiennes, en passant par les montagnes, jusqu’à la côte ouest. Après 29 jours et environ 1 670 kilomètres, j’ai réussi à arriver à Vancouver avec tous mes orteils et tous mes doigts, le 29 janvier 2021, ainsi qu’un total de 25 450 $ de fonds recueillis. Avant tout, cela a permis de donner une voix à des dizaines de milliers de personnes qui sont autrement ignorées, et de sensibiliser à l’épidémie d’opioïdes actuelle.

Iliajah Pidskalny making a peace sign in front of his bike
Iliajah Pidskalny; Saskatchewan; 2021

Au cours de ce mois-là, j’ai reçu de nombreuses questions : pourquoi le vélo ? Pourquoi l’hiver ? Pourquoi pendant une pandémie ? Mais qu’est-ce que tu as mangé ? Pourquoi du beurre d’arachide ? Qu’est-ce qui t’a motivé lorsque c’était vraiment difficile ? Comment t’es-tu entraîné pour cela ? Que feras-tu après ? As-tu un intérêt personnel pour ce problème ? Et enfin, la question la plus fréquente et la plus importante : de quels dommages parles-tu ?

La réponse simple à ce dernier point concerne les dommages causés par nos politiques actuelles en matière de drogues, qui reposent sur un modèle qui a échoué depuis des décennies. La « guerre contre la drogue » est un terme utile, car il souligne l’agressivité de notre approche actuelle qui, comme la guerre, coûte beaucoup d’argent et de nombreuses vies. Après des décennies de ratage, un tel modèle est en contradiction avec les preuves, la logique et les droits de la personne. La crise des opioïdes est un exemple concret des dommages causés par la guerre contre la drogue. Cette crise représente une grave épidémie qui coûte la vie à des milliers de personnes.As-tu un

Intérêt personnel pour ce problème ?

Non, je n’ai pas de liens personnels avec une surdose ni avec l’empoisonnement par le fentanyl. Toutefois, je suis humain, et j’ai donc un lien personnel avec les autres humains. Je trouve que cette « guerre contre la drogue » est pitoyable et dévastatrice, et que les politiques dans ce domaine sont illogiques et injustes. Ces politiques ont été justifiées par un manque d’éducation sur les drogues, sur la consommation de drogues et sur la santé mentale, ce qui a créé une culture marquée par la stigmatisation et une marginalisation tolérée. Le Canada devrait prendre ce problème plus au sérieux avant que chaque Canadien ne perde un être cher à cause d’un empoisonnement par le fentanyl ou d’une surdose. Ce n’est pas « nous contre eux ». En adoptant une approche des politiques sur les drogues qui est plus empathique et qui respecte les droits de la personne, on mettra non seulement en lumière les inégalités systémiques, qu’elles soient socio-économiques, culturelles, raciales ou sexuelles, mais on pourra aussi mieux comprendre la santé mentale.

Donc, quand on me demande, « de quels dommages parles-tu ? »

Je parlais en fait des dommages causés par nos propres pensées. Que nous ayons perdu un proche ou que nous soyons prédisposés génétiquement à la dépression, notre esprit est à l’origine de tant de souffrances. « Cycle To Stop The Harm » était axé sur la santé mentale. Une réforme de la politique en matière de drogues est le meilleur moyen de renforcer la recherche, la compréhension et la compassion concernant la santé mentale et de réduire la stigmatisation (ainsi que de sauver la vie de dizaines de milliers de personnes). Nous sommes tous à risque de souffrir de troubles psychologiques, qu’il s’agisse de dépression, de sentiment de solitude, d’anxiété, de dépendance, d’avidité, de haine ou de jalousie. Ce sont les raisons principales pour lesquelles je me suis lancé dans la campagne « Cycle To Stop The Harm ». C’est pourquoi j’étais si motivé pour attirer l’attention sur ce problème, même si je risquais de souffrir d’hypothermie et d’engelures pendant 29 jours. Je pédalais pour tous les garçons et toutes les filles qui ont été empoisonnés par le fentanyl et pour toutes les mères et tous les pères qui souffrent maintenant de leurs pertes. Je roulais pour les communautés les plus pauvres du Canada, du Ghana, du Mexique et de tous les autres pays. Je pédalais pour les riches et les pauvres, les religieux et les athées, les jeunes et les vieux. Chaque jour sur cette bicyclette, je roulais pour chaque être humain.

Pourquoi le vélo?

Je savais que je pourrais faire du vélo et faire du camping en hiver. Je savais qu’un voyage fou comme celui-ci attirerait de l’attention. Je savais que je pourrais donner une voix à tant de personnes qui n’ont ni la possibilité ni les ressources pour s’exprimer (ou pour être entendues).

Cold snowing Saskatchewan highway
Highway in Saskatchewan; 2021 / Autoroute en Saskatchewan ; 2021

Pourquoi en hiver?

J’ai eu l’idée mi-décembre et je ne voulais pas attendre. On m’a dit que j’étais impatient, mais je dirais que je suis plutôt passionné. Je savais aussi que cette initiative gagnerait beaucoup plus d’attention en hiver qu’en été. De plus, voyager à vélo et faire du camping en hiver mettent en lumière certaines difficultés rencontrées par les Canadiens sans-abri. Ayant été témoin de l’itinérance lors d’un autre voyage hivernal à vélo de six semaines dans l’est du Canada (du 23 octobre au 3 décembre 2020), je voulais inciter les gens à réfléchir aux défis liés à l’itinérance. Je me suis souvent demandé pourquoi on me trouvait aventureux ou courageux, tandis qu’on disait rarement une chose pareille (ou rien du tout) aux personnes qui vivent dans la rue. C’est dur de vivre dehors en hiver, même si on est bien équipé et que c’est volontaire. Je ne peux pas imaginer comment c’est difficile de le faire involontairement et de devoir faire face à d’autres obstacles tels qu’une maladie mentale grave ou la stigmatisation.

Pourquoi pendant une pandémie?

Le monde entier se trouve aux prises avec une pandémie sans précédent, et pourtant, les problèmes de logement, de dépendance, de dépression, de suicide et d’autres troubles de la santé mentale et inégalités sociales ne cessent jamais. Au contraire, les surdoses et les suicides ont même augmenté dans de nombreuses communautés pendant ce temps. Je n’allais pas attendre que la pandémie soit « terminée » pour agir face à ces problèmes. J’ai suivi tous les protocoles sanitaires et accepté les défis particuliers que cela impliquait, comme vivre pendant deux semaines dans une tente, après de longues journées à vélo, jusqu’à ce que l’on puisse m’accueillir dans une maison. Cela m’a permis d’avoir accès à deux maisons chaleureuses au cours du mois de janvier, mais pas assez de douches…

Quant au voyage même, je vais essayer de décrire en quelques mots les difficultés rencontrées.

Grâce à mon bon équipement, je n’ai jamais eu froid pendant la nuit. Par contre, chaque matin, il a fallu que je sorte de mon sac de couchage bien chaud pour mettre des chaussettes, des bottes et des mitaines qui étaient gelées. Au cours de la nuit, mon souffle se transformait en neige sur les murs intérieurs de ma tente. Ainsi, si je bougeais brusquement, la neige tombait dans ma tente. J’avais des chaussettes sèches en réserve, mais mes bottes étaient mouillées (gelées), alors je les ai gardées en cas d’urgence (ce qui n’est jamais arrivé, heureusement). Jour après jour, tout devenait de plus en plus mouillé et gelé.

Tent covered in snow along Cycle to Stop Harm route | Iliajah Pidskalny cycle
Camping along Cycle to Stop Harm Route; 2021 / Faire du camping le long de la route de « Cycle to Stop the Harm » ; 2021

Une fois que j’avais mis mes chaussettes et mes mitaines gelées, je rangeais le camp dans l’obscurité afin de pouvoir pédaler à l’aube. Comme la lumière du jour était limitée (surtout au début), je pédalais de l’aube au crépuscule. Il m’a fallu beaucoup de temps et d’énergie pour préparer et ranger chaque jour un camp d’hiver efficace. Afin que cela vaille la peine, il me fallait faire au moins 80 km de vélo par jour. Cette distance n’était pas facile à parcourir contre les vents contraires qui soufflent dans les prairies (toujours 50 km/h et parfois jusqu’à 90 km/h en rafales), mais j’ai pu parcourir une moyenne de 120 km par jour lorsque j’étais dans les montagnes.

Une fois le camp rangé et le vélo prêt à partir, l’une des parties les plus difficiles était d’enlever des couches de vêtements avant de pédaler. Ça a toujours été dur. Je chantais et parlais comme un fou et cela semblait m’aider. Ensuite, il ne restait qu’à pédaler jusqu’à ce que mon corps produise assez de chaleur pour que mes frissons cessent. Mais, avant ces moments-là, le froid glacial semblait épuiser mon énergie physique et mentale… jour après jour. Une fois complètement réchauffé, j’ai pédalé avec seulement une chemise à manches longues, des leggings en polyester et un maillot de bain. Puis, la prochaine partie la plus difficile : m’arrêter pour faire une pause. Si je m’arrêtais, j’avais très froid, je frissonnais et je claquais des dents en quelques minutes (ou parfois quelques secondes). Être au beau milieu de nulle part au Canada avec de tels frissons conduit rapidement à l’hypothermie. Ma seule source de chaleur était celle de mon corps en faisant de l’exercice. Je m’arrêtais donc rarement et seulement quelques instants. Une petite gorgée d’eau (qui devait être gardée dans un thermos) et une petite bouchée d’autant de calories que possible avant de reprendre le vélo. J’ai remarqué que faire du vélo avec la bouche pleine de nourriture en essayant de ne pas s’étouffer et en portant un masque en même temps était une façon de se réchauffer rapidement après une pause.

Qu’est-ce que je mangeais?

Chaque matin et chaque soir, je mangeais des nouilles de riz avec du beurre d’arachide. Pour me soutenir le reste de la journée, je préparais des barres énergétiques à base de dattes, de chocolat, de beurre d’arachide et de tortillas. Après avoir pédalé toute la journée, j’avais toujours un gros coup de froid lorsque j’arrêtais enfin de pédaler pour la nuit. Pour éviter cela, je montais le camp aussi vite que possible (ce qui a toujours très bien marché). Ensuite, je préparais mes nouilles de riz pour le souper, souvent avec du jus de légumes ou des tomates en conserve et, évidemment, du beurre d’arachide. J’ai mangé d’autres choses sur ma route, notamment des bonbons en Saskatchewan et des croustilles en Alberta. Mais une fois que j’ai appris que la combinaison de dattes, de chocolat, de beurre d’arachide et de tortillas me faisait sentir invincible, je n’ai jamais voulu autre chose. Et ce fut ainsi, pendant 29 jours.

Noodles cooked in a sauce pan in a tent
Eating a meal during Cycle to Stop the Harm; 2021 / Prendre un repas pendant le « Cycle to Stop the Harm » ; 2021

Pourquoi le beurre d’arachide?

Tous ceux qui avaient suivi mon voyage sur les réseaux sociaux ont remarqué que le beurre d’arachide était un thème constant. Bien qu’il ait été considéré comme une sorte de blague, ce produit constituait la majorité de mon apport calorique. Non seulement parce qu’il ne coûte pas cher, mais aussi parce que j’ai de sérieux problèmes de santé intestinale (SCI). Mes problèmes de santé m’ont presque amené à arrêter de voyager et de vivre ce genre d’aventure, mais j’ai décidé d’adapter mon mode de vie (régime alimentaire) de manière à pouvoir faire ce que j’aime le plus. Évidemment, il a fallu que je redécouvre ce qui me passionne le plus, mais ça, avec le beurre d’arachide, me permet d’aller de l’avant. (Je partage cela pour rappeler que je suis humain et qu’il ne faut pas exagérer les qualités de mon caractère.)

Qu’est-ce qui m’a motivé dans les moments les plus difficiles?

J’ai rencontré de nombreuses personnes tout au long de mon parcours et chacune avait une histoire, que ce soit la perte d’un ami empoisonné par le fentanyl ou sa propre histoire d’alcoolisme, de consommation d’héroïne ou d’achats compulsifs. Je me rappelais chaque jour pour quoi et pour qui je roulais : c’était pour la santé mentale de tous. Quand mes orteils étaient gelés ou que le vent soufflait en rafales à 90 km/h, je me disais : « Ce n’est pas que pour toi, Iliajah. C’est pour tout le monde ». Je regardais vers les montagnes et je me disais : « Sois patient comme les montagnes, fort comme le vent, et humble comme la poussière ».

Pendant ce mois, j’ai rarement pensé à ma destination. Je me concentrais plutôt sur un seul jour à la fois. Faire du vélo et du camping dans le froid exige beaucoup de concentration, et il y avait peu de temps ni pour célébrer ni pour me détendre. Chaque instant était très calculé, car je devais constamment faire face à la menace de l’hypothermie et des engelures. Cependant, lorsque j’ai quitté Manning Park un matin, à une température de -20 °C, et que je suis arrivé à Agassiz à une température de +8 °C l’après-midi même, je me sentais incroyablement soulagé. C’est à ce moment-là que j’ai su que j’avais réussi mon voyage et que j’arriverais en toute sécurité à Vancouver dans quelques jours. Lorsque je suis arrivé à ma destination officielle, la Jack Poole Plaza (flamme olympique) à Vancouver, tout ce que je ressentais était une fatigue indescriptible après mon voyage et une certaine joie à l’idée de ce qui m’attendait.

Iliajah Pidskalny in front of the Olympic Flame in Vancouver
Iliajah Pidskalny; Vancouver; 2021

Comment me suis-je entraîné pour cela?

Au cours des six dernières années, je n’ai pas eu de voiture, ce qui a signifié de nombreux hivers et de nombreuses randonnées à vélo sur de longues distances. Mon premier voyage a été de Saskatoon à Vancouver (en été, à 18 ans, avec un copain), et j’ai découvert une passion pour le vélo de longue distance. Depuis ce temps, je suis allé faire de longs voyages en Indonésie, au Cambodge, en Espagne, et ailleurs au Canada. Je savais que mes jambes étaient prêtes pour « Cycle To Stop The Harm ». Toutefois, comme l’hiver est une autre affaire, je me suis concentré cette fois sur mon esprit. J’ai eu la chance d’avoir le temps, l’énergie et les ressources (livres, WiFi, contacts) qui m’ont aidé à découvrir et à pratiquer la méditation. Ce fut le point de départ de mes sentiments de compassion et d’empathie, les sentiments qui m’ont poussé à me lancer dans un voyage à vélo en plein hiver, pour personne de particulier, et pourtant pour chaque personne en particulier.

Et après?

Je suis allé sur l’île de Vancouver et j’ai continué à faire du vélo pour « Cycle To Stop The Harm ». Ayant terminé la collecte de fonds, j’ai décidé de me concentrer sur le dialogue et la réduction de la stigmatisation. Je croyais que ce serait un peu moins dur que mon expérience de ce dernier janvier, mais j’avais tort. J’ai connu un autre mois plein de mains et de pieds gelés, avec des frissons et des claquements de dents contre l’hypothermie. C’était beaucoup plus difficile à surmonter que le mois de janvier, car il n’y avait pas de point final. Moins de monde suivait mon trajet, et mes efforts dangereux semblaient donc inutiles. Enfin, j’ai parcouru à peu près 500 kilomètres de plus, de Nanaimo à Campbell River, puis vers le sud jusqu’à Victoria, et enfin de retour à Nanaimo. J’ai donc décidé de ralentir le projet « Cycle To Stop The Harm » et de prendre le temps de guérir et d’arrêter de faire souffrir mon corps meurtri. Pourtant, alors que les jours sont plus chauds et que le soleil brille plus longtemps, des idées bourgeonnent dans mon esprit. Un nouveau défi m’attend et il s’épanouira au bon moment.

~ Avec amour et enthousiasme, Iliajah Pidskalny

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Advocating for public health- and human rights-based drug policy grounded in evidence, compassion, and social justice