Le temps est venu de repenser notre approche en ce qui concerne la consommation de drogues en milieu carcéral

Il s’agit du troisième d’une série de trois articles consacrés à l’importance d’envisager une réforme des politiques et programmes en vigueur dans les prisons canadiennes. Vous pouvez consulter le premier article ici et le deuxième article ici.

Dans cette série d’articles, j’ai remis en cause l’efficacité des mesures de contrôle des stupéfiants en milieu carcéral et soulevé un certain nombre de questions en ce qui concernel’accès aux médicaments dans les établissements du Service correctionnel du Canada (SCC). Sous le gouvernement actuel, qui se veut déterminé à s’attaquer à la criminalité,la population carcérale augmente et la majorité des détenus déclare être aux prises avec des problèmes de toxicomanie. Face à cette réalité, il importe de se demander si les détenus font l’objet d’interventions, en matière de consommation de drogues, qui améliorent leur état de santé et leur bien-être, et facilitent leur réintégration dans la société ?

Pour les personnes désireuses de réduire ou d’éliminer leur consommation d’alcool ou de drogues, les traitements de la toxicomanie peuvent avoir un impact positif. Au fil des années, le SCC a élaboré plusieurs programmes ciblant la consommation de drogues en milieu carcéral (p. ex. les programmes d’intensité moyenne et élevée) et déclare avoir enregistré des succès aussi bien en milieu institutionnel que suite à la libération. Les Lignes directrices nationales du SCC relatives à l’aiguillage vers les programmes correctionnels stipulent que les plans correctionnels doivent permettre aux prisonniers de participer ‘le plus tôt possible’ aux programmes de lutte contre la consommation abusive de drogues. Cependant, plusieurs détenus, y compris ceux aux prises avec de graves problèmes de toxicomanie, se retrouvent sur de longues listes d’attente.
De nombreux obstacles s’opposent à la prestation efficace et en temps opportun de traitements contre la toxicomanie en milieu carcéral. Les prisons constituent, de par leur conception, un milieu difficile pour les programmes de réadaptation. Les gens ne s’y trouvent pas volontairement. Les impératifs de sécurité dictent les procédures opérationnelles (p. ex. l’isolement cellulaire), ainsi que l’attitude adoptée par le personnel correctionnel et les employés des programmes. Il y a considérablement plus d’argent alloué à l’infrastructure de sécurité qu’aux programmes, et le financement des programmes est davantage susceptible de subir des coupures budgétaires. Par exemple, l’ombudsman des Services correctionnels du Canada a notéque l’investissement dans le programme du SCC dans le traitement d’entretien de la méthadone, un traitement efficace de substitution aux opiacés, devait être réduit en 2014/15. Comme les populations carcérales continuent de croître et le financement public se raréfie, le surpeuplement qui en découle (p. ex. la double occupation des cellules, le manque d’espace pour les programmes) et les problèmes de ressources (p. ex. le manque de personnel qualifié pour satisfaire à la demande du programme) auront une incidence sur l’accessibilité et la qualité des programmes.

Un autre aspect problématique est la hiérarchisation des candidats éligibles aux programmes de traitement de la toxicomanie. Les anciens membres du personnel correctionnel expliquent que la durée des peines et les dates d’admissibilité à la mise en liberté sont souvent utilisées pour déterminer qui aura d’abord accès aux programmes. Les individus purgeant des peines plus courtes (p. ex. quatre ans ou moins) voient s’accélérer le plan d’exécution de leur peine. Inversement, ceux qui purgent des peines plus longues, peu importe leurs antécédents personnels, sont parfois dépriorisés, ou ne sont retenus pour les programmes que plusieurs années plus tard. Cela aboutit à une situation incohérente. En outre, tout prisonnier présentant une demande de liberté conditionnelle sans avoir complété sa programmation désignée, est susceptible d’être jugé inadmissible ou sans fondement.

L’absence d’accès en temps opportun aux traitements de la toxicomanie pourrait expliquer pourquoi certains détenus continuent à consommer de la drogue pendant leur incarcération. Les politiques de tolérance zéro dans les prisons fédérales rendent difficile l’institution de programmes de sensibilisation et de services de réduction des méfaits. J’ai déjà traité en détail des obstacles politiques et opérationnels, y compris la suppression d’éléments de preuve, qui empêchent la mise en oeuvre de certains programmes de réduction des méfaits, tels que les projets de tatouage sécuritaire et de distribution de seringues au Canada. De tels programmes ont vu le jour dans d’autres pays. Ici au Canada, des efforts plurilatéraux sont en cours pour renforcer l’appui apporté à la mise en oeuvre de programmes de distribution d’aiguilles et de seringues, en vue d’améliorer les services de santé offerts aux détenus.

Il est essentiel de se rappeler que la plupart des détenus fédéraux sont éventuellement réintégrés à la collectivité. Pour les consommateurs de drogues, la période initiale suivant leur remise en liberté est reconnue comme un moment critique. Il est possible qu’ils réintègrent un réseau social qui encourage la consommation de drogues ou qu’ils recommencent à consommer des drogues qui augmentent leur risque de surdose. Au cours de cette période de transition, la continuité des soins (p. ex. l’établissement de liens entre les anciens détenus et les traitements communautaires de la toxicomanie et les services de réduction des méfaits) est un autre domaine auquel il faudrait apporter d’importantes améliorations. Aussi est-il d’autant plus important que les toxicomanes puissent bénéficier de programmes et de services de traitement de qualité qui les aident à accroître leur sécurité pendant leur incarcération. Si nous ne parvenons pas à relever ces défis, les mesures que nous prenons sont insuffisantes et arrivent trop tard.

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